Dossier «L'Affaire du RER D» — Le Monde | ![]() | ![]() |
La peur de voir apparaître un climat délétère dans l'Hexagone. Après l'affaire du RER D, les réactions des associations antiracistes et des institutions communautaires trahissent la même inquiétude. Pour le président du Conseil régional du culte musulman de Rhône-Alpes, Kamel Kabtane, l'emballement médiatique et politique qu'a déclenché ce faux fait divers révèle une stigmatisation systématique des musulmans.
M. Kabtane a dénoncé, mardi 13 juillet, "l'islamophobie ambiante qui règne aujourd'hui en France et où s'engouffrent tous les médias pour mettre en accusation la communauté musulmane", ajoutant que "l'antisémitisme est quelque chose de très grave, mais aujourd'hui, quand on aborde ce sujet, ce sont les musulmans qui sont visés." "La communauté musulmane ne peut plus accepter de devenir la cible de tout le monde, d'être traînée ainsi dans la boue au moindre fait divers", a-t-il précisé.
Le Conseil des démocrates musulmans, cité dans Libération du mercredi 14 juillet, a exprimé la même colère en déclarant en avoir assez des "Maghrébins boucs émissaires", enjoignant au président de la République de "témoigner un soutien franc à l'égard des citoyens français d'origine musulmane dans son discours du 14 Juillet".
L'"image négative des banlieues" est également déplorée par l'association nationale des élus de banlieue (ANEB), mardi 13 juillet. "Au final, le travail des politiques et des associatifs de banlieue se retrouve terni par une femme mythomane ainsi que certains responsables politiques prompts à salir l'image de la banlieue", a souligné l'association basée à Décines-Charpieu, dans l'agglomération lyonnaise.
Le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP), estime également que les jeunes de banlieues sont "stigmatisés" et "jetés en pâture" dans les médias. L'association a condamné "avec force les propos irresponsables tenus par des personnes qui ont profité de cette affabulation pour, une fois de plus, instrumentaliser l'antisémitisme contre une population déterminée, alimentant des tensions intercommunautaires". Le MRAP renouvelé sa proposition de manifestation contre tous les racismes, pour interpeller "les consciences des politiques, des responsables associatifs, des leaders d'opinion, de la presse devant le danger de lancer publiquement une information qui peut servir à des manipulations de toute sorte".
Evoquant une "campagne de diffamation à l'égard des populations concernées" et orchestrée par "certains responsables", l'association antiraciste a également fait part de sa crainte que "cette affaire ne contribue à démobiliser l'opinion publique devant d'autres actes racistes et antisémites en contribuant à leur banalisation".
"GRAVE MENSONGE"
Les répercussions du faux fait-divers du RER D inquiètent également les associations et institutions juives. "Je suis évidemment désolé qu'on ait trompé toute l'opinion publique avec cette histoire". a indiqué, mardi 13 juillet, à l'Agence France-Presse, Roger Cukierman, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF). "Cela n'enlève rien aux agressions -antisémites- par centaines de ces derniers temps. Le fait que l'opinion publique puisse recevoir aussi facilement des informations aussi excessives montre que la violence et l'intolérance font partie de l'air du temps", a-t-il ajouté.
Le président du CRIF de Rhône-Alpes, Alain Jakubowicz, a précisé que "le plus dramatique, -c'était- que cette jeune femme ait cru qu'elle serait crédible en affirmant qu'on l'avait prise pour une juive et que ces agresseurs étaient d'origine black et beur. Et le pire, c'est qu'elle a été jugée crédible, parce que ça se passe tous les jours".
Pour l'Union des étudiants juifs de France (UEJF), "il ne faudrait pas que certains profitent de cette affaire pour jeter le discrédit sur la lutte contre l'antisémitisme dans son ensemble". "Si les politiques et les médias ont réagi aussi vivement, c'est qu'ils savent qu'un tel scénario d'horreur est malheureusement plausible", a ajouté Yonathan Arfi, président de l'UEJF, dans un communiqué.
Dès les premiers doutes des enquêteurs sur la véracité des propos de Marie L., les responsables politiques avaient multiplié les mises en garde. "L'émotion qu'a déclenchée cette information réelle ou virtuelle est une émotion authentique", avait déclaré Jean-Pierre Raffarin, juste avant que la jeune femme n'avoue avoir inventé son agression. "Restons prudents quant à l'information mais restons vigilants, car tout le monde sait que le racisme et l'antisémitisme sont des maux qu'il faut combattre avec l'énergie des pouvoirs publics mais aussi avec l'énergie des citoyens", a-t-il ajouté.
Même prudence pour le député UMP du 16e arrondissement de Paris, Claude Goasguen. "Si cette dame a commis un grave mensonge (...) cela ne doit pas nous empêcher de poser politiquement la question -de l'antisémitisme- parce qu'elle est grave, elle est au moins aussi grave que l'affabulation sinon plus grave et elle mérite d'être discuté", avait-il déclaré.
Une position identique le porte-parole du gouvernement, Jean-François Copé. "Au-delà de l'émotion considérable qu'un récit comme celui-là peut provoquer chez toute personne, il y aune réalité, et cette réalité, quoi qu'il arrive, ne peut être dissimulée" a-t-il souligné mardi matin sur RTL, ajoutant qu'en "dépit des interrogations que suscite l'affaire, il y a en France une explosion des actes racistes et antisémites"qu'il fallait combattre. Avant lui, le député socialiste Strauss-Kahn avait indiqué qu'une version différente des faits initialement énoncés "ne changerait rien au fait que c'est la dixième ou vingtième agression de ce genre". Julien Dray, porte-parole du PS, s'est montré plus critique. "Depuis le départ, il fallait prendre cette affaire avec circonspection, a-t-il affirmé. "Visiblement ça n'a pas été fait aux plus hauts sommets de l'Etat (...)".
Caroline Cordier